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Comment faire face aux fake news et autres théories complotistes
qui prolifèrent sur Internet et dans certains médias ?
Rencontre avec les journalistes Samira El Gadir et Thomas Huchon
pour analyser et comprendre ce phénomène.

Propos recueillis par Céline de Buttet


Qu’est ce qu’une fake news et en quoi est-elle différente de la désinformation que l’on connaît depuis toujours ?

Samira El Gadir :

C’est un concept anglais qui définit une fausse information. Une fake news est, dans la majorité des cas, propagée de manière délibérée et peut être ensuite partagée sans que l’on sache qu’il s’agit d’une fausse information. Aujourd’hui, le rôle des réseaux sociaux donne à ces fausses informations une puissance qui n’existait pas il y a quelques décennies. Il n’y a plus de hiérarchisation de l’information, tout le monde peut s’exprimer. On l’a vu avec le Covid-19: ma voisine de palier peut parler au même niveau qu’un infectiologue.

Thomas Huchon :

Une fake news n’est pas simplement une fausse information, c’est une fausse information fabriquée pour avoir l’air vrai, avec le but délibéré de tromper. Il y a une intention de manipuler par celui qui la fabrique, pas toujours par celui qui la diffuse. Aujourd’hui les réseaux sociaux permettent beaucoup de choses. Le véritable enjeu est là : en tant que journalistes et professionnels, comment est-ce qu’on reprend le contrôle sur l’information ?

SAMIRA EL GADIR

Journaliste et responsable de
la cellule des “Vérificateurs”,
service de fact-checking de TF1
et LCI. Elle a rejoint le groupe TF1
en 2008. Après plus de dix ans
passés sur le terrain, au sein du
service économie du JT de TF1,
elle s’est formée aux outils de
lutte contre les infox, notamment
sur Internet et les réseaux
sociaux. Samira El Gadir est
diplômée du Centre de formation
des journalistes de Paris.

THOMAS HUCHON

Journaliste, auteur et réalisateur,
Thomas Huchon est spécialiste
du web, des fake news et
des théories complotistes.
En 2017, il réalise son premier
documentaire Comment Trump a
manipulé l’Amérique. Journaliste
à Spicee, média indépendant,
Thomas Huchon est également
chargé de conférences à
Sciences Po Paris. Depuis mars
2021, il présente aux côtés de
Bénédicte Le Chatelier Anticomplot,
l’émission sur LCI.
Une émission hebdomadaire qui
permet de mieux comprendre
pourquoi complotisme et
conspirationnisme séduisent et
tous les outils pour les détecter.


Fake news et complotisme sont-ils forcément associés ?

Thomas Huchon :

Toutes les fake news n’amènent pas au complotisme. En revanche, il n’y a pas de complotisme sans fake news. La théorie du complot est une narration idéologique, une vision du monde, un raisonnement construit sur des fake news.

Samira El Gadir :

Si on devait donner une image, la fake news est un meurtre ; le complotisme, un meurtre prémédité.

Thomas Huchon :

Avec le complotisme, on atteint un échelon supérieur. Les complotistes considèrent que vous êtes désinformés et qu’il faut vous réinformer. Il y a un processus psychologique de méfiance et surtout de lavage de cerveau.

Aujourd’hui, j’en suis convaincue à 100 % : on parle à tout le monde et on a une force de frappe importante.

Samira El Gadir

Comment la rédaction de TF1 lutte-t-elle contre les fake news ?

Samira El Gadir :

Quand je donne des cours à des collégiens, je leur dis qu’on cherche aujourd’hui à bien manger, bio, local. C’est pareil avec l’information. Il faut faire le tri dans ce que l’on ingurgite et développer son sens critique. Comme vous cherchez l’origine de la viande que vous achetez, vous pouvez chercher l’origine d’une information. Notre public nous demande de les accompagner. À TF1 et LCI, 40 journalistes ont été formés à vérifier les images, faire des recherches poussées sur les réseaux sociaux, savoir où trouver des données publiques.


Tous avec leur spécificité – politique, environnement, etc. – sont mobilisés pour décortiquer chaque jour des sujets qui sont estampillés « Les Vérificateurs » sur TF1, LCI et sur le web. Quand j’ai commencé à mettre ça en place, tout le monde me disait : “Les fake news, ce n’est pas notre truc ; nous, on apporte les vraies informations, on ne parle pas des fausses informations”. Aujourd’hui, il y a des formats qui sont non seulement estampillés mais aussi assumés, c’est une volonté éditoriale et une sacrée évolution. Au début, nous nous sommes aussi interrogés : nous qui sommes vus par sept millions de personnes, si on parle d’un sujet vu par dix mille personnes sur Twitter, est-ce qu’on ne donne pas une tribune à cette fake news ? Aujourd’hui, j’en suis convaincue à 100 % : on parle à tout le monde et on a une force de frappe importante.

La liberté d’expression ne peut pas fonctionner sans responsabilité.

Thomas Huchon

Le fact-checking permet-il aux médias traditionnels de retrouver la confiance du public ?

Samira El Gadir :

L’enquête journalistique a toujours existé mais aujourd’hui, avec la profusion d’informations, on utilise des outils que l’on n’utilisait pas avant, comme la recherche d’images inversée qui permet de remonter à la source d’une image. Le contexte a changé et notre façon de transmettre également. Avant, on ne dévoilait pas notre tambouille interne, on donnait le résultat de notre enquête. Aujourd’hui, il faut expliquer notre démarche et être transparent sur les méthodes utilisées, ça contribue à renouer la confiance.

Thomas Huchon :

Au début de ma carrière, j’ai détesté ce terme de fact-checking. Pour moi, ce n’était pas notre métier. J’avais tort, je n’avais pas compris la nouvelle réalité, cette défiance d’une partie de la population et les armes que nous avions à notre disposition.

Samira El Gadir :

Le fact-checking apporte plus de transparence et d’honnêteté. Il m’est arrivé de faire un fact-checking vu par 7 millions de personnes pour dire que je n’avais pas la réponse, que les éléments dont nous disposons, malgré une enquête approfondie, ne permettent pas de valider tel chiffre.

Thomas Huchon :

La liberté d’expression ne peut pas fonctionner sans responsabilité. La loi française permet la liberté d’expression à condition d’être identifiable et tenu responsable de ses propos. Sur Facebook ou Twitter, je ne sais pas qui me parle. C’est aussi ça le problème que nous pose ces réseaux : ils ont cassé notre capacité à décrypter les choses. Je ne crois pas que l’on puisse vivre dans un monde où tout le monde peut diffuser n’importe quelle information sans avoir des bases de journalisme. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait ni travail, ni méthode. Il n’y a pas les complotistes face aux rationalistes. Il y a en gros 5 % de complotistes, 5 % de rationalistes et au milieu, 90 % des gens n’ont pas d’idées et sont perdus. Ces gens-là, il faut les aider, les guider. Et puis, le fact-checking est aussi utile pour les enseignants, les éducateurs, qui ont besoin d’armes pour se battre face à ces phénomènes.

Samira El Gadir :

Pour ceux qui viennent chercher l’information, nous avons créé un compte twitter et une boite mail Lesverificateurs@tf1.fr sur lesquels des gens nous demandent de vérifier telle ou telle chose. Pour ceux qui ont des doutes légitimes, comme c’était le cas au moment de la première vague de la pandémie, nous expliquons. On a reçu de nombreux messages de téléspectateurs nous disant que nous les avions rassurés.